Extrait de vie : Moi, la sociabilisation et mon introversion


L’introversion c’est se ressourcer en étant seul.
J’ai eu envie d’écrire un article sur l’introversion. Alors certes, c’est un vaste sujet. Ce qui est le plus simple pour moi, c’est de vous écrire un article, sur mon expérience, mon vécu d’introvertie, dans certaines situations, au sein d’une société qui fonctionne majoritairement en extraversion.
Les injonctions à se « sociabiliser », sont partout autour de nous, et ce, depuis l’enfance. Personnellement, j’ai passé une grande partie de ma vie, à entendre ma mère me répéter : « ne fais pas ta sauvage », « soit plus sociable » etc. Bon, de enfant potentiellement « sauvage » (oui, parfois je mords, je griffe, et j’ai le poil hirsute), je suis devenue une adulte plutôt normale. Mes relations sociales, certes, sont en nombre restreint, mais généralement source d’enrichissement, de confiance et de bienveillance.
Pourtant, faire la paix avec mon introversion, et m’accepter telle que je suis, ne m’a pas été aisé.
Peut-être, que certaines personnes pourront se reconnaître dans ce que je vais raconter. Témoigner, est le seul véritable objectif de cet article. N’hésitez pas à me parler en commentaires, de vos expériences en terme de « sociabilisation », je serais ravie de vous lire. 

  • Enfant "sauvage" :
Quand j’étais enfant, j’ai rapidement manifesté une préférence marquée pour la solitude. D’un tempérament calme, ma mère me racontait que je pouvais jouer seule pendant des heures, sans déranger personne. A l’école, c’était pareil. J’avais tendance à m’isoler des autres. Mes souvenirs sont flous, mais je me rappelle des émotions que je ressentais. Très sensible à tout, détestant le bruit (c’est encore le cas aujourd’hui), un peu carrément « victime », j’avais du mal à m’intégrer avec les autres enfants généralement bruyants, et violents aussi parfois. Vous l’aurez compris, j’étais cette petite gamine là. Celle qui pleure tout le temps, pour « rien », parce qu’on lui a jeté du sable à figure (true story), et qui galérait par dessus tout, à garder des pelles et des seaux, pour jouer dans le bac à sable (on me les volait)... Je me souviens qu’au bout d’un moment, je ne cherchais même plus à utiliser les pelles et les seaux, parce qu’on me les arrachait des mains systématiquement. Quel bel enseignement de la vie… J’ai de vagues souvenirs parfois, de m’être plaint aux adultes, mais d’une manière générale il me semble que mes plaintes n’étaient pas prises au sérieux. J’ai donc intégré que ça ne servait à rien. Et puisque je devais être une petite qui pleurait souvent, ça devait être lassant. Finalement, dans la vie on est seul face à ses pelles.
Dans ce contexte, j’ai grandi en ayant un peu peur des autres. J’étais trop gentille, et j’avais beaucoup de mal à me faire respecter. Pour me protéger, je choisissais l’isolement. Cependant, au-delà d’une protection, je sentais aussi que j’en avais besoin. Je ne comprenais d’ailleurs pas pourquoi c’était mal vu. Je sentais bien que les adultes, ma mère notamment (qui n’est pas du tout introvertie) me poussaient à aller jouer avec les autres. Par exemple, mes parents ne comprenaient pas pourquoi, je ne voulais pas m’inscrire dans les activités prévues par certains campings où nous nous rendions. Les petits groupes d’enfants y étaient encadrés par des animateurs et ça avait l’air bien d’un point de vue adulte-extérieur. Mais pour moi… ça voulait dire : ne pas être libre d’imaginer les jeux que je voulais avec les jouets que j’avais emportés ; prendre le risque d’être encore une « victime » à qui on vole les pelles ; ainsi que le risque de se faire moquer par des adultes, si elle se plaint que machin a renversé sur elle son verre de jus d’orange.
Dans ce contexte, comme j’avais du mal à m’intégrer dans les groupes d’enfants et que je n’osais pas vraiment aller vers eux, ma mère disait souvent que j’étais un peu « sauvage ». Pourtant, des amies, j’en ai eu, mais hors du cadre scolaire. 


  • D’enfant « sauvage » à ado qui évite la solitude en public.
Je pense que beaucoup d’entre nous ont déjà connu cette crainte, de manger tout seul à la cantine du collège, voir, du lycée...
Mon rapport à la solitude et à mon côté introverti fut beaucoup plus conflictuel à cette époque. Quand on devient ado, s’il y a bien un truc qu’on veut éviter à tout prix, c’était d’être un(e) « no life », une personne seule, un(e) sans ami(e)s Je ne sais pas quels sont les termes actuels, mais moi à mon « époque » les personnes seules étaient des "cassos" ou des "boloss". Il fallait à tout prix ne pas être seul. Pas que pour l’image, c’était aussi une question de survie. Être seul dans une cour de collège c’est prendre le risque d’être une proie facile, de se faire harceler.
Je n’ai jamais été seule au collège, du moins, pas visuellement. Dans ma tête je l’étais, comme beaucoup au final. Lorsque j’écris que mon rapport avec ma solitude était « conflictuel » c’est parce que je n’assumais pas le fait d’aimer être seule. Pourtant, c’était ainsi. Pendant les vacances scolaires, je ne voyais personne et ça ne me dérangeait pas tant que ça. Encore une fois, c’était plutôt ma maman qui s’inquiétait de me voir rester à la maison (alors que pour beaucoup de parents, c’est l’inverse!).
Quoi qu’il en soit, je n’étais pas fan des réseaux sociaux et fort heureusement, à ce moment-là c’était seulement MSN et Facebook qui trônaient en maître chez les jeunes… (ouais je commence à être vieille). Sinon, mon côté « no life » se serait doublement vu. Cela dit, je n’étais pas une ado exclue. J’étais banale, mal dans ma peau, complexée par ma timidité (que je confondais avec mon introversion), on ne me prêtait pas attention et ça m’allait très bien. Enfin, la plupart du temps…
Je me souviens d’un avantage de cette époque, quand je ne voulais pas me rendre à des soirées, mais que j’avais un peu honte de l’admettre, j’avais le prétexte du : « mes parents ne veulent pas ». Un prétexte que j’ai perdu en arrivant à la Fac. C’est à ce moment-là qu’il a fallu que j’assume le fait que je préférais passer une soirée à lire un livre, plutôt qu’à me rendre à une fête. 



  • Vie d’étudiante et vie d’adulte :
En arrivant à la Fac, il a fallu que j’assume mon introversion. Ce qui n’était pas chose aisée au début. Ce n’était pas aisé, parce que dans la tête des gens et de la société, un étudiant c’est quelqu’un qui « profite de la vie ». Bien que « profiter de la vie » quand tu es dans une situation précaire, propre à la situation d’une grande partie des étudiants, me paraît être un terme abusif. Je l’ai tellement entendu cette phrase pourtant : « Tu es jeune, profite de la vie ». Et profiter de la vie, pour ces gens qui le répètent à tout bout de champ, ça signifie bien souvent : « va picoler avec tes potes, va faire des soirées, aie des relations sans lendemain... ». Ça ne veut généralement pas dire : « enfile-toi la saga de la Passe-Miroir un samedi soir ». Et puis déjà, pourquoi la jeunesse est associée au « profite de la vie » ? Parce que quand t’as 40 ans, tu ne peux plus ? Cela ne signifie pas grand-chose. La vérité, c’est que nos critères pour profiter de la vie sont tous différents. Cependant, d’une manière générale, j’ai souvent eu cette impression que pour beaucoup, profiter de la vie c’était sortir. Donc moi, je ne profitais pas de la vie.

Écrivons sur les soirées étudiantes… vaste sujet. Comment avouer qu’en réalité, je n’aimais pas ça ? Que dans 90 % des cas où je suis sortie, je me suis « forcée » pour ne pas faire ma « sauvage » ?
Je vais expliquer ce qui me gêne tant dans les soirées étudiantes (et qui m’est propre, 100 % personnel).
Au début, quand je suis arrivée à la Fac, je croyais que ça se passait un peu comme sur les campus américains. J’imaginais plusieurs soirées organisées par des associations de la Fac, un peu « privées » uniquement entre étudiants. Alors oui, il y en a, de temps en temps, mais la réalité est plus complexe que ça. En vérité, là où j’étais, dans la ville de Tours, il y avait la place Plumereau : « la place Plume » pour les intimes. Cette place Plume, c’était l’ENDROIT où il fallait aller quand on voulait sortir. Tout un condensé de bars, encadrés par des bâtiments moyenâgeux remplis de charme. Tout un condensé de bruit aussi, et de foule. Comme je l’ai dit plus haut, je suis quelqu’un de très sensible au bruit. Ajouté à cela, je ne me sens pas à l’aise dans une foule. Compte tenu de tout ça, place Plume, c’était un peu la représentation de l’enfer pour moi. Trop de stimulations sensorielles. De plus, même s’il y avait une majorité de jeunes dans ces lieux, je remarquais toujours, quelques hommes d’âge mûr, baladant leurs regards salaces sur des jeunes filles pour qui ils auraient pu être le père. J’ai eu le droit à ces regards aussi, bien que n’étant pas une fille « remarquable », et j’ai détesté ça. J’ai un gros blocage, qui m’est personnel, ne serait-ce qu’avec l’idée de plaire à des personnes beaucoup plus âgées (à partir de 10 ans de plus, mais surtout quand l’homme qui m’observe « salement » a l’âge d’être mon père, voir mon grand-père...). Je trouve ça répugnant. Je me sens très mal quand un homme beaucoup plus vieux, a un comportement ambigu avec moi. C’est déjà arrivé, et ça me donne la nausée rien qu’à y repenser.
Bref, je suis sortie quand même, plusieurs fois. J’ai été « bourrée », plusieurs fois. Je me suis rendue compte que l’alcool endormait mes sens. J’ai vraiment pris conscience qu’il y avait un problème, quand j’ai constaté que j’avais besoin d’être déjà alcoolisée avant de me rendre dans un bar. Typiquement, pour l’exemple : sortir le soir, boire un verre après les partiels, n’était pas pour moi une activité « détente », là où elle l’était pour mon entourage. C’est bête à dire, mais ça me complexait tellement ! Je me disais que je n’étais pas normale, que j’étais trop « coincée »… Non, je ne suis pas coincée, je n’aime pas ça et ce n’est pas de cette manière que je lâche prise. Mes batteries se rechargent dans la solitude, et j’ai mis du temps à le comprendre. Cela dit, il y a tout de même des soirées que j’ai appréciées. D'ailleurs, c'était plutôt des soirées chez des amis, pas dans des bars, que j'ai le plus aimées.

J’ai pu comprendre mon introversion, que je prenais au début pour de la timidité, en lisant le livre de Susan Cain : la force des discrets dans un monde trop bavard. Ce livre a changé ma vie : il m’a aidé à arrêter de culpabiliser pour ce que j’étais.
Cela dit, même quand l’introversion est assumée, on peut toujours faire face à des incompréhensions, plus ou moins explicites. Quand j’ai commencé à refuser des soirées, ou certaines activités sociales, juste en disant « je n’en ai pas envie », il peut arriver que la personne qui invite, le prenne personnellement, en se disant que je ne l’aime pas. Ce qui est faux ! Ça ne m’arrive jamais de ne pas aimer quelqu’un (si c’est le cas, je ne deviens pas amie avec, point). Il faut donc souvent que j’explique que je suis introvertie et blabla… Les gens comprennent d’une manière générale. Ceux qui ne comprennent pas, je pense qu’il suffit tout simplement d’arrêter de les fréquenter, il y a un manque de compatibilité.
J’ai beaucoup parlé des soirées (particulièrement dans les bars) dans le paragraphe d’avant, qui sont les situations sociales d’intégration, où typiquement, j’ai le plus de mal. Il y en a une autre qui est très compliquée à vivre pour moi : les vacances avec un groupe d’amis. J’ai vécu ça uniquement deux fois. La première, quand je suis partie en Italie avec le collège en classe de 4ème, et la deuxième, avec mes deux amies les plus proches de moi à la Fac. Dans les deux cas, j’étais entourée de personnes que j’aimais beaucoup, dont certaines restent encore de très proches amies actuellement. Mais les deux cas, ont tout de même été compliqués à vivre. Pas parce que mes amies étaient insupportables, parce que moi, je vivais cette expérience de groupe difficilement. Dans ce genre de voyage, nous ne sommes jamais seuls. Pendant une semaine, on vit et dort 24h sur 24h avec les mêmes personnes. Je sentais mon énergie sociale diminuer fortement, au fur et à mesure des jours. Quand mon énergie sociale diminue, je vais avoir tendance à manifester des comportements « égoïstes » et assez individualistes. Je vais avoir beaucoup plus de mal à tolérer la « lenteur » d’un groupe par exemple, et je vais par différentes manières essayer de m’isoler un peu. Pour donner un exemple concret : alors que nous visitions un musée d’histoire et d’arts, j’ai choisi de devancer mes deux amies de Fac qui regardaient un film sur la conception d’une œuvre. Je suis partie devant, visiter le reste du musée désert, et ça me faisait terriblement du bien d’être enfin un peu seule avec moi-même. Mais très honnêtement, je ne suis pas sûre que mon comportement fut bien compris par mes amies (ce qui est normal), même si elles ne m’ont pas fait de remarques explicites. Je me souviens m’être sentie un peu mal après, en craignant que mon comportement soit considéré comme du rejet, alors qu’il s’agissait de fatigue sociale que je ne savais pas comment exprimer.
Je me souviens avoir cette sensation « d’étouffer » pendant ces deux voyages en groupe. Je me rappelle aussi, avoir naïvement emmené un livre, en pensant que je pourrais lire tranquillement dehors, où le soir sur le canapé. Ce que l’on faisait beaucoup avec ma famille en vacances. On lisait tous ensemble sur la plage ou sur la terrasse d’un emplacement de mobil-home… J’étais un peu idiote de croire que « lire » puisse faire parti du vocabulaire des organisateurs des voyages scolaires, ou même, puisse être ce qu’avaient envisagé mes deux amies. Dans ces instants, je me sens décalée.

Dans la vie d’adulte, l’introversion peut continuer d’être mal perçue. Rien que dans mes études, lors de mon stage par exemple. On nous incite absolument à nous « intégrer », à se faire remarquer, à se démarquer (démarquer de quoi ? De qui ? Ça veut dire quoi ? Se vendre comme un produit de supermarché alors qu’au final, on ne vaut ni plus ni moins que les autres ? Comment être en capacité de faire ça quand on a conscience d’être comme tout le monde…?). Pour mon stage, j’ai eu tout de même de la chance, mon tuteur semblait être assez introverti aussi, et accordait plus d’importance à mon apprentissage du suivi thérapeutique d’un patient, qu’à mon intégration dans la structure. A l’inverse, à l’université, j’avais le sentiment que les enseignants s’intéressaient plus au fait qu’on « s’intègre » dans l’équipe pluridisciplinaire, plutôt qu’à notre apprentissage du métier. Ce que je trouve tout à fait absurde !
Pour être tout à fait franche, j’ai eu le sentiment (justifié ou non, je ne sais pas) que mon introversion avait jouée contre moi pour la sélection en Master 2 de psycho. En effet, après coup, j’ai pu constater que les élèves sélectionnés, étaient pour beaucoup, ceux qui participaient le plus lors des cours. Cependant, je suis désolé, je ne vois pas le lien entre : être un futur bon psychologue et participer en cours*. Et c’est ainsi depuis toujours. Dans la tête des profs, le meilleur élève, c’est celui qui participe… Pourtant, le travail sérieux et la participation orale régulière en classe, n’ont aucun lien de cause à effet (même s'il peuvent être conjoints). De plus, ne pas participer en cours, ne signifie pas, ne pas être actif. Dans ma tête, ça carburait, je me perdais en réflexions, pas assez précises et organisées pour faire l’objet d’une participation orale (il m’aurait fallu plus de temps), mais j’étais active !
Dans cette société majoritairement extravertie, j’ai souvent eu l’impression de devoir jouer un jeu. Pour m’adapter à ce qui était attendu, tout en trouvant que les règles étaient absurdes.  D’une manière générale, nos règles sociales n’ont pour moi, jamais été évidentes, je les remets constamment en question. Et ce, allant de la moindre petite règle de « politesse » au fait de se « vendre » à un entretien d’embauche, quand on sait très bien qu’en vérité, nous n’avons rien de plus que les autres. 



Pour conclure : le mot « sociabiliser » n’est pas quelque chose qui est simple pour moi. Si je peux avoir l’air adaptée en contexte social, j’ai souvent cette impression d’enfiler une sorte de masque de « sur-adaptation » avant de sortir. Et honnêtement, je pense que ce n’est pas que le cas des introvertis.
Cela dit, mon introversion ne m’empêche pas non plus d’aller vers les autres aujourd’hui. Une fois l’école primaire passée, j’ai eu beaucoup moins de difficulté à sympathiser avec autrui et à m’intégrer. La seule différence, peut-être qu’avec les extravertis, c’est qu’une fois que j’ai créé mon cercle d’amies proches qui me convient (j’accorde au féminin, parce que je n’ai jamais été amie proche de garçons, en excluant mon copain), je n’essaye pas forcément d’en rencontrer d’autres.
Ceci étant, bien qu’il soit positif de mettre un mot sur notre façon de fonctionner (afin d’éviter de croire, par exemple, que nous sommes phobiques sociaux, malades mentaux...) je pense qu’il faut faire attention à ne pas s’enfermer dedans. Même si ce n’est pas ce que je fais le plus souvent, j’aime tout de même rencontrer de nouvelles personnes et je trouve que c’est toujours très enrichissant.

Pour aller plus loin sur le sujet de l'introversion voici le lien de la conférence de Susan Cain

Lisa


* Je n'écris pas non plus qu'ils ont été sélectionnés uniquement grâce à leur participation orale, ces personnes avaient des dossiers sans doute mieux que le mien. Cela dit, je me souviens clairement de ce que m'avait dit mon parrain en psychologie lorsque j'étais en L1 : "pour passer, il faut que tu participes, que tu discutes avec les profs, que tu te fasses remarquer". Le problème c'est que je suis nulle à ce jeu là. D'autant plus, parce que ma démarche ne serait pas sincère, là où elle relève sans doute beaucoup plus du naturel (et donc de la sincérité) pour des personnes un peu plus extraverties que moi. 



©️Tous droits réservés - 2018











Commentaires

Articles les plus consultés