Ecrit n° 5 : Marcher dans les vagues


Avant propos : Bien que je mette de moi-même dans ce que j'écris, ce court récit est fictif.


10/07/2019
Cher ami oublié.

Je ne sais pas vraiment pourquoi je t'écris. Je sais juste que j'ai ressenti une sorte d'urgence. Il fallait que j'écrive à quelqu'un. Là, maintenant. Je ne sais même pas si j'aurais le courage de poster cette lettre. Je ne suis même pas certaine que tu habites encore à cette adresse. Ça fait quoi ? Un an ? Deux ans ? Deux ans plutôt. Je crois que je ne suis pas douée pour garder les gens. Ou est-ce toi peut-être ? 

Je t'ai choisi comme réceptacle à mes émotions parce que... parce que... Oh Zut, parce qu'il fallait bien quelqu'un. Et il me semble qu'on avait beaucoup d'émotions tous les deux. Je crois que ça m'aidait de t'avoir comme ami. Je me sentais moins seule. Moins seule à trop ressentir.
Assez tourné autour du pot, il faut que je te confie quelque chose. Ça ne va pas. Et je crois que là, c'est pire que tout. Pire que mes troubles du sommeil quand nous étions en classe de seconde parce que le changement collège-lycée m'avait trop perturbé. Je t'entends déjà soupirer. Me dire que le changement fait parti de la vie et que c'est "cool". Tu sais bien, j'ai toujours été plus frileuse que toi. Ce que j'ai vécu ces deux dernières années, c'était de l'ordre du changement, et crois-moi, il n'y avait rien de "cool".

Pour le moment, je suis en vacances sur la cote basque. J'ai essayé de fuir mon quotidien décevant. Cet après-midi, pendant que je marchais dans les vagues, j'ai pris le temps d'observer les gens. Parfois, avec mélancolie, mon regard s'attardait sur les jeunes. Les adolescents. Si vivants, si émotionnels. Hier encore, c'était moi. Tu t'en souviens ? Tu te souviens quand c'était nous ? Quand on avait pas peur d'hurler face à la vie quand elle était trop chienne. Quand on avait pas peur d'être nous-même. Là, maintenant. On aurait fait la course dans les vagues, j'aurais chanté sous la pluie. On aurait parlé trop fort, emmerdé le monde. J'aurais été explosive mais ça n'aurait pas été important. Parce que quand on a 16 ans, rien ne l'est. Tout est important mais pas ce qui doit l'être. Pas ce qui le devient après. Lorsque le temps a arraché trop d'heures, trop d'années, pour nous balancer dans ce bassin où on a pas pied. Ce bassin avec écrit ADULTE en lettre rouges. Ce bassin qui nous fait boire la tasse à tous, ce bassin dans lequel personne ne sait nager mais où tout le monde fait semblant.

Alors que je marchais dans les vagues, la vérité m'est apparue en pleine figure. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais vivante à nouveau. Parce qu'il y a un moment où je me suis laissée crever. Où j'ai attendu avec angoisse que la mort vienne me chercher, comme si j'avais déjà 90 ans. Comme si j'avais déjà tout vu, tout vécu et suffisamment souffert. Que m'est-il arrivé ? La vie tout simplement. La vie. Cette connasse parfois, mais si belle pourtant aussi. Cette vie, je l'aime tu vois, mais elle me terrifie. Parce qu'elle est imprévisible, parce qu'elle est explosive, parce qu'elle peut te claquer entre les doigts. Avant, ce n'était pas important ça. Y avait l'adolescence et c'était déjà bien suffisant. On vivait un jour à la fois.

Alors, je me suis laissée crever, par crainte. Heureusement, ce n'était pas au sens propre. Quoique... Est-on vraiment vivant quand on s'isole ? Quand on existe plus pour personne ? Quand on existe plus pour la société ? Quand on a plus aucun statut ? Quand on demeure dans une parenthèse qui s'étire en longueur ? Pourtant, 23 ans c'est encore jeune. Dans la fleur de l'âge, j'ai eu l'impression de prendre 50 années en une. Un monde qui s'écroule, mes rêves de jeunesse, cette lune que je voulais décrocher, cet espoir qui faisait briller mes yeux... Plus rien. Désillusion bonjour, et boulot de merde. Isolement, vie dans un taudis trop étroit... Adieu mes 20 ans, la bande de potes, ma vie sociale, les cuites tardives, ces jours sans lendemain... Le monde a pris une teinte noire cendrée, je me suis perdue et j'ai eu honte. Honte de mon échec, honte de mon travail, honte de ma vie, honte de moi-même. J'aurais dû garder contact. Pardonne-moi. C'était trop difficile. Trop lourd.  
En plus de ça, je m'étais toujours jurée de ne jamais finir comme ceux à qui ça arrive, de me battre jusqu'au bout, de résister. Mais quand la vie nous écrase, qu'a-t-on comme choix si ce n'est pleurer ? 

Tu te rappelles, je voulais être écrivain ? Mais en 5 ans, j'ai rien pondu de potable. J'étais trop occupée. A quoi ? A rentrer dans ce putain de moule. Le moule de la société. Cette même société qui m'a trahit ensuite et abandonnée. J'ai perdu du temps à essayer de lui plaire. Pourquoi ? Parce que le besoin de sécurité, de reconnaissance, prime sur celui de l'expression. Prime sur l'art ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus. Tout ce que je sais c'est que j'ai réagi trop tard. Trouble panique ? Hypocondrie ? Dépression ? Les trois à la fois ? Tu crois que j'ai touché le fond ou que ça peut être encore pire ? 

J'ai soupçonné mon corps de me faire du mal. Parce que c'était le cas. Je me suis détestée. Au point de me punir. Au point de me tuer sans m'en rendre compte. Je me suis fait du mal. Je veux que ça cesse. Lorsque j'ai ouvert les yeux sur tout ce bordel mental, j'ai eu peur. De moi. Comment peut-on avoir peur de soi hein ? Est-ce que ça a du sens ça ? 
J'ai une tornade à la place du bide et des émotions qui tremblent dans mon placard. Elles sont si fortes que les murs de ma maison tremblent. Les murs de mon corps aussi. Et il y a ces connasses de mouches à vers qui pondent sous mes fenêtres. Oui, j'ai eu des problèmes de mouches dans mon foutu studio. Un lien avec mon état interne ? Honnêtement, je me suis posée la question, même si ça paraît dingue.

Mais finalement, comme je ne suis pas du genre à faire l'autruche, j'ai ouvert mon placard. J'ai regardé les émotions dans le blanc des yeux et j'ai hurlé. J'ai hurlé fort, et j'ai ensuite eu un problème de mâchoire. Mais je te promets maintenant, je ferai trembler les autres. Ceux qui me liront. C'est arrogant ? Je m'en fous. Ça fait bien trop longtemps que je me tais. Que les mots restent étranglés dans ma gorge. Ça fait bien trop longtemps que je suis lisse. J'avais oublié que j'étais une tornade. Que je vibrais autant. J'ai oublié qu'avant c'est l'écriture qui me sauvait.

Alors oui, pendant que je marchais dans les vagues, pour la première fois depuis longtemps je me suis rappelée que j'étais vivante. J'ai regardé ces deux dernières années et je me suis jurée : "plus jamais".

Et toi, comment elle va ta vie ? Est-ce qu'elle est décevante ? Est-ce qu'elle t'écrase aussi parfois ?

A toi pour toujours,
Ton amie oubliée.

Lisa-Lou.



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