Ecrit n° 4 : un truc qui s'appelle grandir
Je
suis allongée sur mon lit. J’aimerais penser à autre chose.
J’aimerais qu’il existe sur l’humain un bouton pause. A la
place, mes pensées tournent. Je n’aurais pas dû ouvrir mon
ordinateur pour « vérifier un truc ». J’aurais dû
fermer les yeux et oublier ma vie. En inventer une autre.
Ce
soir, j’ai regardé des anciennes photos de moi. Elles dataient de
2016, j’avais l’impression que c’était hier. C’était avant
de me souvenir que ça faisait trois ans.
J’observais
cette jeune fille de 20 ans et je ne me reconnaissais pas. Du rouge à
lèvres, un style soigné, un sourire enjôleur… Il a dû m’arriver
quelque chose depuis. Ah oui, un truc qui s’appelle la vie. Un truc
qui s’appelle « adulte et désillusion. »
Qui
suis-je maintenant ?
Je
ne reconnaissais pas cette jeune femme. Ce n’est plus moi.
Aujourd’hui j’ai un style négligé. Mon travail ne me permet pas
de faire mieux. Les enfants c’est salissant et je travaille avec
eux. Je ne sors plus, je ne suis plus invitée aux soirées. Je ne
sais plus à partir de quand ça a cessé. Je ne me souviens plus à
partir de quand je me suis recroquevillée sur moi-même pour me
protéger. Je ne me souviens plus à partir de quand j’ai compris
que je n’avais plus d’identité sociale.
Aujourd’hui
lorsque je sors dans la rue et que je vois les gens qui s’activent,
j’ai l’impression d’être en dehors. Je ne fais plus partie de
cette masse mouvante. Ça ne se voit pas, mais je le sens à
l’intérieur. J’ai froid dedans.
J’ai
perdu ma place un jour de juillet 2018. Ma Fac m’avait gentiment
remercié de la qualité de mon profil avant de me dire au-revoir. Un
Master 2 sous tension. Un Bac+ 4 inutile. Faites des études qu’ils
disaient les grands. « Quand ont veut on peut ». « Pour
réussir il faut travailler ». « Pas pour les filières sous tension » ont-ils omis de préciser.
Alors
je n’arrive pas à dormir. Je repense à ces photos. A celle que
j’étais. Je regarde l’endroit où je vis maintenant. Une
trentaine de mètres carrés dans les toits. Des murs qui moississent
lorsqu’il pleut. Un sol bleu foncé, démodé, des chaises de
jardin pour la table à manger, des meubles pas assortis. Un aperçu
global qui ressemble à l’intérieur des mobiles-homes. Si peu
Instagramable.
Je
me sens bizarre. Cet appartement est trop étroit, ma vie semble
inutile et incertaine. J’oublie que j’ai quand même de la
chance. Pourtant c’est là. C’est ancré en moi. Une mélancolie
de privilégiée. C’est le genre de jours où j’ai envie d’écouter Mylène
Farmer. Le genre de jour où j’ai envie de « glamouriser »
quelque chose de dérangeant. Comme pour me donner une illusion de
contrôle sur ce que je ressens.
Ce
soir, je me sens étrangère dans ma propre vie. Trop de choses ont
changé. J’aimerais rembobiner. Grandir c’est douloureux. Alors
j’aimerais rembobiner pour voir où ça a merdé. A tout bien
réfléchir je crois que 2016 fut une date clé. C’est l’année
où j’ai découvert que mes parents étaient humains. Qu’ils
n’étaient pas une sorte d’entitée sacrée qu’on appelle
« papa » « maman », juste humains. Et comme
tous les humains, ils gardent en eux cet enfant qu’ils étaient
jadis. Un enfant au socle bancal. On se cache derrière des costumes de grandes personnes mais on a toujours autant besoin de câlins.
Pourquoi personne ne le dit ?
Grandir,
c’est se rendre compte que la vie ne va pas toujours dans le sens
qu’on veut. Grandir c’est affronter des choses, comme cet échec
dans mes études, ou mon job mal payé. C’est devoir gérer.
Grandir c’est entreprendre. Grandir c’est avoir l’impression
qu’il n’y a personne pour nous rattraper si on tombe. Grandir
c’est ne plus avoir papa maman qui nous rassure. Grandir, c’est
rassurer papa maman. Grandir c’est angoissant.
J’aimerais
rester là avec mes bouquins. La tête plongée dans les histoires
des autres. Abuser des câlins de mon conjoint. Jouer à la bagarre
avec des cousins.
J’aimerais
que le temps se fige et m’attende. Je suis trop lente pour son
rythme. Je me sens si petite.
Je
suis toujours allongée sur mon lit. J’aimerais penser à autre
chose. J’aimerais arrêter de penser au fait que je vais mourir un
jour.
Lisa-Lou
©️Tous droits réservés - 2019
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