Point Lecture (déception) : Et soudain tout change de Gilles Legardinier

Oui mon chaton à un œil qui déconne, ne vous inquiétez pas, on le soigne


J'ai délaissé les chroniques régulières sur ce blog pour parler de livres individuellement. Je n'en vois plus trop l'intérêt quand le livre m'a simplement plu, sans qu'il y ait quoi que ce soit de plus à ajouter, et c'est globalement ce que j'ai lu ces derniers temps.

Alors voilà, aujourd'hui j'ai terminé un roman, qui au contraire, n'entre pas dans la catégorie de "c'était bien voilà tout", mais plutôt dans celle : "ah, j'ai envie de faire la chieuse qui critique".

Un post un Instagram ne suffira donc pas. Alors voici un article.

Après avoir lu, il y a plus de 7 ans : Demain J'arrête j'avais envie de lire d'autres ouvrages de Gilles Legardinier. A l'époque j'avais bien aimé ce roman (chose que j'ai été amenée à reconsidérer en lisant Et soudain tout change).

Et soudain tout change, traîne dans ma PAL depuis assez longtemps. Suffisamment pour que je ne me souvienne plus du moment où je l'ai acheté. Le roman est sorti en 2013, et comme la protagoniste principale : Camille, cette année-là, j'étais aussi en terminale (2013-2014). J'avais envie de raviver un petit sentiment de nostalgie à la lecture de ce livre. 





Le positif : Le thème est prometteur, et il invite à la réflexion. Le texte est parsemé de petites leçons de vies qui peuvent parler à la plupart d'entre nous. Que l'on soit ado comme le personnage, ou adulte. L'ambiance est assez gaie, malgré certains thèmes "graves" qui sont abordés. L'ambiance est loin d'être lourde et l'auteur nous propose une façon de voir le malheur de manière alternative, moins sinistre et résiliente. Je trouve que c'est un bon point. 
L'écriture est fluide et facile à lire.

Mais... : ce livre possède trop d'éléments qui ne me conviennent pas. Il y a également des maladresses, ainsi que des remarques qui ne sont pas en accord avec les valeurs humaines que je défends au quotidien.


D’un point de vu général : 


Je n'ai pas eu le sentiment que l'auteur réussissait bien à se mettre à la place d'adolescents de terminale de ma génération. Il manquait quelque chose. J'avais l'impression de trop l'entendre lui dans les réflexions de Camille et non pas Camille. Alors, certes, c'est toujours des auteurs qui s'expriment à travers leurs personnages, mais certains réussissent mieux que d'autres à les incarner et à disparaître totalement en eux. Ici, j'ai trouvé que ça n'allait pas. Je pense qu'il n'est pas aisé pour un homme adulte de se mettre dans la peau d'une jeune fille de 17 ans (qui plus est d'une autre génération que la sienne), et tenter cette manœuvre me paraît un tantinet risqué. Alors oui, certains y arrivent sans doute, notamment les auteurs de Young Adult, mais pour Gilles Legardinier, qui n'écrit pas de la jeunesse, je pense qu'il aurait dû s'abstenir.
En fait pour résumer ça, je pense que c'est un livre qui met en scène des adolescents, mais qui ne s'adresse pas à des adolescents. 

Certaines scènes me paraissent également trop peu crédibles. Notamment le coup de Tibor qui cache des restes de nourritures dans le plafond du lycée ; ou le coin secret sur le toit où la bande se retrouve dans les débuts de l'histoire (ça m'a rappelé High School Musical avec le jardin secret de Troy et ça m'a fait rire). En vérité il est impossible d'accéder aux clés de ce genre d'endroits et les salles demeurent fermées en dehors des heures de cours. Les profs ne sont pas dupes, ça serait le bordel sinon. 
Ce sont loin d'être les seules scènes. Nous avons aussi le bal de lycée pour fêter les 50 ans de l'établissement. Dans la vraie vie, les lycées français n'organisent pas de bal ou alors rarement (j'avoue que j'ai eu un bal de fin d'année en terminale mais en en parlant autour de moi à mes potes de Fac ensuite, j'ai vite compris que j'étais une exception). De même quand cela existe, le risque que ce dernier soit annulé parce que les élèves sont jugés comme trop insupportables est très très élevé. (Prétexte de chantage bidon qui traduit surtout la flemme des établissements d'organiser un tel événement). Il y a d'autres détails aussi, qui donnent plus l'impression d'être aux Etats-Unis qu'en France : les jobs peu banals que se trouvent les lycéens facilement sans avoir 18 ans (mascotte dans un restaurant ou promeneur de chiens, très peu commun chez nous), ou encore le fait qu'à un moment une jeune fille explique les relations amoureuse à Camille en faisant référence aux pompoms girls et capitaines de l'équipe de foot, chose qui n'existe pas chez nous et pour laquelle personne n'utilise cette référence.
Cela n'est pas dramatique, mais je trouve que c'est maladroit et que ça ne rend pas le cadre crédible. Moi qui ai été ado en 2013, je ne m'y retrouvais pas.


Le diable est dans les détails : 


Maintenant, j'aimerais faire un focus sur ces petites choses que j'ai trouvées maladroites et qui ont contribuées à gâcher ma lecture.

Philosophie de comptoir : pousser le lecteur à la réflexion, c'est bien. Mais le faire constamment en utilisant un prof chelou moralisateur en mode "maître Yoda", c'est maladroit. En utilisant à outrance le titre aussi (ça revient au moins une dizaine de fois), pour tous les prétextes : "Et soudain tout change, avant je jouais aux Barbies, mais maintenant je suis adulte. Ohlala." Cette phrase ne fait pas partie du livre, mais il y a une scène comme ça. Camille décrit sa chambre et elle y mentionne les poupées traînant dans un coin qui prennent la poussière. J'ai trouvé la scène un peu exagérée et simple prétexte pour mentionner cette idée du passage à l'âge adulte. A 17 ans, il est rare que des poupées traînent encore dans une chambre d'adolescente, (si ce n'est par manque de place).

Clichés et sexisme : 

Pour les filles, les maladresses se situent le plus souvent dans les questions de sexualité. L'idée de se "protéger" de préserver sa virginité des "abrutis" aux hormones qui les chatouillent, revient régulièrement. Pour ce point, j'admet qu'à cet âge, j'avais la même vision et je percevais ma virginité comme un truc "sacré". Cependant aujourd'hui j'en ai marre de voir les choses ainsi et j'en ai marre que ces idées soit véhiculées dans les œuvres (qu'elles soient littéraires, filmographique...), j'en ai marre que la valeur d'une femme se mesure à ça alors que ce n'est pas le cas pour les hommes. Par exemple, p. 187 (format poche) Camille et Léa discutent de la première fois. Léa dit qu'elle a failli le faire une fois avec un coach sportif qu'elle trouvait attirant (elle ne dit pas qu'elle est était amoureuse). Elle évoque ensuite qu'elle n'en est pas "fière" parce qu'elle n'aurait été qu'un "trophée de plus" pour cet homme et Camille lui répond qu'elle a eu "raison de ne pas céder". Et en fait je trouve ça bête. Si on regarde juste cinq minutes les choses autrement. L'idée de ne pas céder parce que ce mec est un dragueur est un peu étrange. Peut-être était-il respectueux quand même ? En fait, nous en savons rien. Ce n'est pas précisé. Selon moi la seule chose qui compte pour l'acte sexuel, ce n'est pas le nombre de partenaire hebdomadaire de l'un(e) des deux, mais le respect du consentement ainsi qu'être en accord sur ce que chacun attend de la relation. Je pense qu'ici il aurait été plus judicieux d'écrire: "je préfère le faire avec quelqu'un dont je suis amoureuse, et qui est amoureux de moi également", ou alors : "ça ne semblait pas être un type bien, je n'avais pas confiance en lui", plutôt que de refuser l'acte parce que l'homme est dragueur... Je ne sais pas si vous percevez la nuance. Comme si, lorsqu'une fille couche avec un mec qui a beaucoup de partenaire, ça lui enlevait de la valeur. Mais, et le gars alors ? Bref. La réalité n'est pas si binaire, vous avez des dragueurs qui respectent votre consentement et des moins dragueurs qui forcent (violent) leur compagne quand elles refusent de faire l'amour...

L'éternel cliché de la fille belle trop belle : dans leur lycée, il y a une fille : Vanessa qui incarne le cliché de la fille "bonne" que tout le monde veut se taper mais avec qui personne ne sort. (Bah oui hein Michel, dans la vie y a les meuf qu'on soulève, des bonnes grosses p**** et celles qu'on épouse qui sont un peu plus moches, comme ça on est sûre de bien les garder dans la cuisine !) Eh bien non en fait. Camille a une conversation à un moment avec Vanessa qui est assez surréaliste, page 273. Camille vient lui demander conseil pour attirer les garçons. Vanessa lui explique qu'elle n'attire les garçons qui ne veulent que du sexe. En fait, je pense que Vanessa se fait surtout plus harcelée que les autres filles. Mais en fait dans la pratique, dans mes souvenirs du lycée, les filles très belles avaient des copains, et elles les gardaient aussi longtemps que les autres filles, il n'y avait pas vraiment de différence. Donc dire que finalement une fille très belle (selon les codes sociétaux) ne pourra jamais gardé les mecs c'est faux et c'est vraiment stéréotypé. 
Il y a également une phrase à propos de Vanessa qui m'a fait sauté au plafond : "En moi-même, je me dis qu'elle fait quand même tout pour se mettre en valeur et que si les garçons lui courent après, elle en est quand même plutôt responsable. Il n'y a qu'à voir son petit chemisier qui lui fait une poitrine de surfeuse californienne..." Bah oui, bah oui Michel, ah une sacrée s*****. Ça m'a mis d'autant plus mal à l'aise que j'ai imaginé l'auteur de 50 piges écrire ça. 

Pour les garçons : il revient régulièrement l'idée que ce sont des "gamins", des "abrutis" aux hormones qui bouillonnent, et en fait j'en ai marre que les hommes soient décrit ainsi. Je trouve ça assez méprisant. Il faut bien commencer par quelque chose et si on arrêtaient de se dire "bah ce sont des hommes c'est normal qu'ils draguent tout le monde et fassent des choses idiotes" nous arrêterions de tolérer les violences sexuelles. On ne les verrait plus comme des bêtes assoiffées de sexe contre qui il n'y a rien à faire et on les éduquerait un peu mieux. On leur apprendrait à demander le consentement avant de prendre.

Un peu de psychophobie : la psychophobie concerne les clichés envers des personnes souffrants de maladies mentales. Des perceptions peu flatteuses, rabaissantes, des préjugés envers ces personnes. Et ce livre fait preuve d'une immense maladresse à ce sujet dont l'auteur n'a sans doute pas conscience.
Le personnage qui incarne ça, c'est Tibor. Certes, c'est leur ami, mais son comportement est régulièrement tourné en ridicule et sujet à la moquerie. Je ne sais pas de quoi souffre ce personnage, mais il semble correspondre un peu aux caractéristiques des autistes Asperger, bien qu'en vérité il est surtout décrit comme "dingue" et comme faisant "un peu peur".
Plusieurs phrases aussi, en dehors du personnage de Tibor, posent problème selon moi. En voici un exemple :
Camille à une amie en parlant du divorce de ses parents : "ne va pas te mutiler".
L'amie répond : "t'inquiète, je suis furieuse mais pas folle". Je trouve cette réplique assez violente pour les personnes qui se mutilent à cause d'une dépression par exemple. Les personnes qui se mutilent ont toute leur tête. En général elles recourent à cet acte pour atténuer une douleur morale abstraite et insupportable en la remplaçant par une douleur physique concrète. Bref, ce n'est pas la seule remarque dans ce style.

Enfin, il y a deux scènes en particulier que j’ai trouvées limites. La première quand un garçon de leur classe qui est décrit comme une "mauvaise" personne, se fait humilié très violemment devant tous les élèves du lycée par la bande de potes à Camille. La raison ? Il a eu une remarque déplacée vis à vis d'une de leur pote qui a un problème de santé grave. Même si sa remarque était mauvaise, j'ai trouvé que l'humiliation affligée n'était clairement pas justifiée (et sans doute traumatisante d'ailleurs). J'étais assez ahurie que les profs y réagissent avec laxisme. Ce passage me donnait un peu l'impression que parce que le groupe de Camille était les "gentils" ce n'était pas grave, ils pouvaient se moquer des "méchants". Sauf que non, ça fait juste d'eux des raclures aussi. Imposer le respect OK, mais humilier ainsi... punaise... c'était violent. Il était à poil dans le hall attaché sur une chaise avec une écriture humiliante sur le torse. Pour seulement une remarque que la personne concernée n'a même pas entendue... 
La deuxième scène, c'est quand ils brûlent à la fin la voiture du voisin d'Axel décrit comme raciste envers les "petits Black" (oui oui c'est le mot "Black" qui est employé, et c'est clairement peu approprié, demandez à un "Black" vous verrez ce qu'il en pense).  Là encore une fois, je veux bien croire que ce type soit mauvais, mais brûler sa voiture ? Franchement ? Je sais pas, ça faisait vraiment : "oh les gentils blancs qui viennent au secours des pauvres "petits Black" sans défense". Je pense qu'ils n'ont pas besoin de nous en vérité si ce n'est pour arrêter de les discriminer.


Je n'ai rien d'autre à écrire de plus, je vous ai exposé l'essentiel. Je n'ai bien évidemment pas tout cité, mais j'ai mis bien plus de coches que d'exemples que j'ai exposés là aux pages comportant des maladresses.


Conclusion  


C'est un ouvrage que j'aurais peut-être aimé il y a quelques années, avant que je ne devienne intransigeante sur les stéréotypes et clichés envers certaines catégories de la population. Sur ce blog on a l'impression que je râle souvent, mais en vérité, je lis pleins de livres qui ne font pas preuve de propos clichés, et subtilement discriminants. Donc oui, il est possible d'écrire de bons livres, sans ça. La plupart du temps il s'agit simplement d'une manière de tourner une phrase. Ce sont des changements très faciles à mettre en place pour respecter les individus et ça ne change rien à l'histoire. Ce n'est pas de la censure, c'est de l'humanité. Enfin bref. Je ne vous recommande pas spécialement ce livre. Sur ce thème, je pense que certains auteurs ont fait mieux.
Je lui mets quand même la moyenne parce que tout n'est pas à jeter. L'auteur n'a pas de mauvaise intentions, il est juste maladroit et nous le sommes tous plus ou moins.

Ma note sur livraddict : 11/20


Lisa-Lou






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