Ecrit n° 6 : L'urgence de vivre


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« Donc l’autre jour, je me suis énervée parce que j’ai voulu faire une sieste et parce que je n’ai pas réussi à dormir. Je me suis dit que j’aurais eu mieux à faire. Je crois que mon cas est grave, parce que j’étais claquée tu vois. Mais genre vraiment claquée. Avant de faire cette sieste ratée j’étais en train de manger et j’ai eu l’impression que mon corps se tassait par terre. C’était sans doute parce que je ne me tenait pas droite. Je ne me tiens jamais droite. En vérité la vie me pèse. »

Je n’arrive pas à me concentrer. Je suis animée par une sorte d’urgence. Une envie presque pathologique de vouloir faire 46 000 choses en même temps, d’avoir 46 000 cerveaux pour faire toutes ces tâches et 46 000 vies. Les journées de 24h me paraissent trop courtes. Les semaines de 7 jours pas assez longues. Les week-end de deux jours trop étroits. Je me sens étouffée. La gorge nouée, comme dans un col roulé trop serré. Qui porte encore ce genre de chose ? Si le mot était correct, je dirais que c'est d'une "désagréabilité" incomparable. Mais ce mot n'existe pas.

Je crois que d’une manière figurée, nous portons tous des cols roulés. Pour différentes raisons je suppose. La mienne, c’est que j’ai peur de mourir prématurément. Je suis également toquée. Angoissée donc. Je répète : j’ai peur de mourir prématurément. Et ça tourne en boucle. Et si et si ? De manquer de temps. Je le sens qui s’écoule à chaque instant. Ce traître me rapproche inévitablement de la fin. Je peux presque entendre son "tic tac" incessant qui ne s’arrête jamais. Je vis dans le poème de Baudelaire et l’horloge me scie.
Je cours après, j’essaye de le retenir mais je perds toujours. Je ne gagne jamais. Je suis en retard. Je me sens balayée par la vague du temps. Elle engloutie mon souffle. Concentrée sur une tâche, je me dis que non, il y a autre chose. De plus important ? De plus urgent ? Non, il y a juste toutes ces choses, trop nombreuses, trop présentes, qui rallongent ma liste et font exploser mon bullet journal à coup de « productif tu seras, productif tu mourras ».
Ça y est, j’ai la nausée. Où s’est-il envolé ce temps ? Celui d’avant, quand les années s’étiraient en longueur. Ce temps où j’avais le privilège de dire : "maman, je m'ennuie". Maintenant il n’y a plus rien. Uniquement ces tâches qui s’additionnent et ce "Moi", dont le perfectionnisme est exacerbé s’habille de "pression" et "culpabilité" pour toutes les effectuées.

Résumer mes cours, aller faire les courses, nettoyer l’appartement, faire une demande à la CAF, trouver un stage de fin d’année, aller en cours, écrire une lettre de motivation, mettre à jour mon CV, écrire à ma grand-mère, demander des nouvelles des gens que j’aime, finir mon roman à peine commencé, finir mes trois lectures du moment, écrire un article, faire du yoga, faire du sport, aller chez le kiné, chez le dentiste, sortir avec mes potes, faire la cuisine, me laver, trier mes cours, trier mon ordi, penser à manger équilibré, manger équilibré, tendre au zéro déchet, faire une machine, me détendre, faire une sieste, trouver des éléments de décoration pour l’appartement, commander ce nouveau livre, écrire à mon ancien employeur que je n’ai jamais reçu ma fiche de paie de juillet, apprendre un cours, penser à mon avenir, dégager du temps pour mon couple, avoir envie de faire l’amour, faire l’amour, répondre aux SMS, entretenir mes réseaux sociaux, écrire des messages, aimer des photos, finir cette série… 

J’énumère les tâches qui étouffent ma vie et je me mets à pleurer. Je suis persuadée que mon cerveau va exploser sous la charge mentale que j’ai. Pourquoi je m’en impose autant ? Finalement, je ne suis jamais ici, mais toujours ailleurs. Oui ailleurs, les yeux fixés sur l'heure. Je prévois, j'anticipe. Et je panique parce que ça fait trop. Je pense que les articles que je vois passer sur mon fil Facebook ont raison : c'est "la surstimulation". En manquant de rien nous manquons de tout. Lacan ne peut me contredire : cette non-absence fait devenir fou.

Lisa-Lou

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